Descartes : l’expérience et la raison
Paru en janvier 2016
Société Française de Philosophie - Bulletin de la Société Française de Philosophie
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Prix : 11,00 €
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48 pages - 15,5 × 24 cm
ISBN 978-2-7116-5076-7 - janvier 2016
Présentation
Peut-on examiner la philosophie de Descartes sub specie experientiæ? Peut-on relire sa philosophie au fil de l’expérience? L’entreprise a tout l’air d’un paradoxe : la philosophie de Descartes a été interprétée dans la tradition comme une philosophie a priori et comme un système agencé selon l’ordre des raisons plutôt que selon les données de l’expérience. Pourtant certaines voix de la tradition et d’autres, plus contemporaines, n’ont pas manqué de souligner l’importance de cette notion, dont elles ont examiné la richesse thématique et la plasticité théorique.
Rappelons la tentative d’Octave Hamelin, qui avait souligné au sein de la philosophie de Descartes la présence et l’importance de l’expérience, « une expérience bien définie » qui porte sur des notions distinctes et qui se configure comme « une espèce d’intuition »; rappelons l’interprétation de Robert Lenoble qui avait parlé d’un « réalisme empirique » de Descartes subordonné à des conditions contrôlables dans l’ordre du savoir . Evoquons enfin la thèse de Jean Laporte, qui était allé jusqu’à présenter la philosophie de Descartes comme « un empirisme radical et intégral » .
Quant aux interprètes plus récents, certains n’ont pas hésité à faire de la notion d’expérience la notion centrale de la philosophie et de la science cartésiennes. Citons, sans souci d’exhaustivité, les noms de Desmond Clarke, Daniel Garber, Nicolas Grimaldi, Amelie Oxenberg Rorty, David Dennis, Simon Werret, Alberto Pala, Vincent Aucante, Pierre Guenancia, Denis Kambouchner, Sophie Roux, Frédéric de Buzon, Christopher Braiden, Odette Barbero.
Enfin, tout se passe comme si la notion d’expérience chez Descartes permettait de reformuler les distinctions philosophiques traditionnelles : celles qui opposent empirisme, rationalisme et éclectisme. Or ces notions, Victor Cousin les avait forgées à partir de la philosophie de Descartes, autorisé, d’une certaine façon, par certaines de ses affirmations qui avaient posé un divorce irréductible entre raison et expérience, consacrant la primauté de la connaissance intellectuelle, établie a priori au-delà de tout doute raisonnable.
Certes, chez Descartes la philosophie première fondée sur l’évidence intellectuelle est une instance de fondation; certes, le modèle mécaniste de l’univers structuré selon des chaînes de déductions ne s’impose pas comme un fait, mais comme une explication des faits; certes, la conception du corps-machine dérive de l’assomption d’un dualisme fonctionnel fondé sur les idées claires d’étendue et d’âme. Et pourtant une lecture des textes cartésiens qui suit l’exercice de la raison plus que l’ordre déductif des raisons ne saurait refuser les prérogatives de l’expérience.
Dans la métaphysique, qui est une expérience performative de la vérité, l’expérience de la présence de l’idée claire et simple ne coïncidet-elle pas avec la chose elle-même? Dans la connaissance scientifique, l’expérience de certitude n’est-elle pas l’instrument de validation du modèle hypothétique? C’est par la seule expérience, et non « par la force du raisonnement » que Descartes pense son établissement. La morale ne renvoie-t-elle pas elle aussi à l’expérience certaine de l’illimitation de la liberté? L’anthropologie ne nous octroie-t-elle pas « l’expérience très évidente » de l’union d’âme et de corps dans l’homme?
Et enfin n’est-ce pas une expérience de pensée qui permet à Descartes de formuler les hypothèses métaphysiques des doutes hyperboliques sur l’origine et le statut de la raison humaine, le Dieu trompeur et le malin génie? C’est bien sur ces expériences paradoxales mais « inéluctables » de la philosophie moderne que se joue la conquête d’autonomie philosophique de la raison par la mise en question de son origine.