La collection Didac-Philo, par Frédéric Cossutta

05 avril 2025

Frédéric Cossutta est directeur de la collection Didac-Philo, une collection exclusivement consacrée à l’enseignement de la philosophie aux éditions Vrin.

Vrin : La collection « Didac-Philo », anciennement éditée par Lambert Lucas, vient de rejoindre le catalogue des éditions Vrin. Elle est déjà riche d’une trentaine d’ouvrages, et se consacre exclusivement à l’enseignement de la philosophie. On dit parfois que la didactique en philosophie a mauvaise presse… Quelles raisons vous ont poussé à créer cette collection, et à quels besoins répond-elle ?

Frédéric Cossutta : En effet, c’est une gageure et un pari un peu aventureux que de consacrer entièrement une collection de livres papier à l’enseignement de la philosophie. J’ai été professeur dans le secondaire pendant très longtemps, et dans tous les types de classes, avant d’enseigner en classes préparatoires et j’avais été étonné de voir certains jeunes collègues (ou moi-même) souvent bien démunis face aux difficultés rencontrées en classe. Quel hiatus entre l’enthousiasme qui nous avait poussés à faire ce métier que nous vivions comme une vocation et les difficultés auxquelles nous étions confrontés au jour le jour. C’est donc au nom d’une sorte de devoir moral à l’égard de la communauté des enseignants-philosophes que j’ai décidé – en complément des formations professionnelles qui ont considérablement évolué – de proposer des outils concrets pour enrichir notre pédagogie et des éléments de réflexion sur les conditions générales de l’enseignement de notre discipline.

Vrin : Sans compter qu’à l’époque, le contexte ne s’y prêtait pas : on parlait de « guerre des programmes » (voir dans la collection le livre de S. Cosperec), l’idée même d’une « didactique de la philosophie » divisait profondément nombre de professeurs et d’associations (comparer les ouvrages de M. Tozzi et de Patricia Verdeau dans cette collection).

F.C. : Oui, vous avez raison. Effectivement la didactique avait, et a encore souvent mauvaise presse parmi les philosophes pour qui Il suffirait d’apprendre à philosopher en se familiarisant avec les grands textes pour pouvoir enseigner aux autres à philosopher. À l’opposé, certaines propositions didactiques, inscrites dans une orientation militante, ont été dépréciées, taxées de « pédagogisme », alors même qu’elles voulaient renouveler les pratiques enseignantes, au prix certes de se couper d’une certaine tradition et parfois au risque d’une certaine inconsistance.
L’enseignement de la philosophie en France constitue un enjeu très fort qui exacerbe les clivages comme l’ont montré les batailles lors des divers réaménagements des programmes (voir le livre de S. Cosperec sur La guerre des programmes ). La question didactique est en elle-même un enjeu philosophique, pédagogique et politique.

Vrin : La collection a-t-elle vocation à prendre position parmi les courants que vous venez d’évoquer ?

F.C. : Les conditions ont changé, le climat est plus favorable et la nécessité de se former, de s’interroger sur l’exercice de notre enseignement est admise assez unanimement, à la fois parce que les conditions d’enseignement sont de plus en plus difficiles et parce que les formes d’exercice de la philosophie se sont diversifiées et élargies bien au-delà du Lycée. Par ailleurs, les affrontements au sein de la corporation des professeurs de philosophie sont beaucoup moins violents. D’ailleurs, pour moi il n’était pas question que cette collection soit l’expression d’une chapelle ou d’un courant. En tant que directeur de collection, je tiens à ce qu’elle témoigne de la diversité comme de la divergence des points de vue, avec la conscience que nos divergences sont une marque de richesse et doivent donner lieu à des controverses, peut-être, mais toujours animées par la bonne foi et le souci d’expliciter les raisons des positions que nous assumons.

Vrin : Vous avez donc cherché à créer une collection pluraliste, comme en témoigne la liste des ouvrages publiés, où l’on trouve des auteurs de toutes les obédiences. Comment s’est structurée la collection initialement ?

Je dois dire que le résultat est allé au-delà de mes espérances et que la première partie de ce défi a été couronnée de succès, puisque depuis 2018 nous avons publié 30 titres !  La collection se déploie selon deux axes matérialisés par deux séries.
Une Série générale propose des livres portant sur les pratiques, les façons d’enseigner, en offrant si possible des retours sur des expérimentations ou des propositions d’exercices (voir, dans la liste, les ouvrages de F. Grolleau, D. La Balme, M. Tozzi (dir.), J. Hawken). Elle propose aussi des ouvrages de portée plus générale – réflexion philosophique et pédagogique sur le statut même d’une didactique de la philosophie (P. Verdeau, J. Lefranc éd. par B. Fischer) –, sur les conditions historiques et institutionnelles de son enseignement (B. Poucet à propos de la dissertation dans La dissertation de philosophie, histoire et enjeux), jusqu’à certains qui touchent à la philosophie de l’éducation (I. Pereira).
Une seconde série, Notions cherche à couvrir progressivement le programme de terminale en se référant aux notions mises au programme des Agrégations. Avec un sous-ensemble Notions par les textes, qui propose le commentaire approfondi dans chaque chapitre d’un texte portant sur une notion du programme, dont Philippe Touchet s’est fait une spécialité. Je tenais à ce que ces ouvrages soient consistants, très clairs, soucieux de rigueur dans la problématisation, la mise en perspective des auteurs de référence, mais également ouverts aux propositions contemporaines comme l’illustre très bien la dernière parution, Logique et épistémologie, où Pierre Wagner donne la parole à des chercheurs engagés en logique et épistémologie et à même de relier les questions et les problématiques classiques à leurs traitements contemporains.

Vrin :  Ces livres, destinés principalement à la préparation des concours, ont alors une durée de vie assez limitée ?

Pas du tout ! Après les concours (sans compter que certains de ces thèmes sont récurrents), ces livres passent au service des professeurs du secondaire et des étudiants en philosophie. Ils couvrent progressivement toutes les notions du nouveau programme de terminale, et les aident à enrichir ou à renouveler leurs cours. Je suis très soucieux d’assurer un niveau intellectuel et une qualité éditoriale impeccables (notes, références bibliographiques et bibliographies raisonnées en fin d’ouvrage…). Tous nos auteurs tiennent compte de l’état de la recherche tout en maintenant l’idéal d’une philosophie générale. La qualité de la maquette et son élégance-signature, la mise en pages assurée de façon très professionnelle par les éditions Lambert-Lucas puis Vrin ne sont pas pour rien dans le succès que rencontrent ces ouvrages.

Vrin : Comment envisagez-vous l’avenir de la collection, dans le cadre de sa reprise par les éditions Vrin ? 

La première partie du pari est gagnée. La collection s’est imposée petit à petit dans le paysage éditorial alors que son inscription initiale y était modeste. La seconde partie de ce pari était plus difficile : comment faire mieux connaître ces livres et élargir leur audience ? L’aventure, commencée avec une grande liberté chez l’éditeur Lambert-Lucas, un grand éditeur en sciences du langage mais peu connu des philosophes, va se poursuivre chez Vrin avec l’espoir d’une amplification. Nous allons bénéficier de la notoriété de cette maison d’édition pour augmenter la visibilité de cette collection. Et, de notre côté, nous contribuons à élargir le public touché par l’éditeur, en l’ouvrant à un lectorat d’étudiants en philosophie, de professeurs de Lycée, en abordant des thématiques spécifiques qui n’étaient pas prise en compte par les autres collections de la maison. Et cela, en ayant le souci de préserver les exigences de niveau et de clarté d’expression qui sont les marques d’une maison qui peut élargir son public sans céder aux facilités de livres simplificateurs ou racoleurs.

Vrin : Avez-vous des projets en cours pour prolonger ou amplifier les thématiques traitées dans cette collection ?

F.C. : Je voudrais qu’elle s’enrichisse de volumes consacrés aux deux grandes orientations de la collection. D’une part, de livres plus directement dédiés aux questions pratiques que le professeur se pose dans sa classe, ou que pose l’enseignement de cette discipline hors de la classe (voir le succès de la philosophie pour les enfants présentée dans le livre de J. Hawken). Qu’on réfléchisse par exemple sur la place et la nature des exercices en philosophie, sur l’étrange statut des Repères dans le programme de terminale, sur les formes de l’argumentation, sur les méthodes de lecture de textes philosophiques. D’autre part j’aimerais que s’enrichisse la réflexion sur l’histoire et les conditions d’enseignement de la philosophie, par exemple que l’on s’interroge aussi sur l’enseignement de la philosophie dans les sections techniques, que l’on s’intéresse à la formation des professeurs, ou que l’on s’ouvre à ce qui se pratique dans d’autres pays européens... Je suis donc ouvert à toutes les propositions !

Propos recueillis le 11 avril 2025

Frédéric Cossutta, professeur Agrégé de philosophie, Docteur d’état, ancien élève de l’ENS de St. Cloud et ancien Directeur de programme au Ciph, a enseigné dans toutes les séries de terminale et en CPGE (plus d'informations sur son site personnel). Il a conduit simultanément un programme de recherche consacré aux formes discursives de la spéculation philosophique (gradphi.hypothese.org). Il dirige depuis 2018, chez Lambert-Lucas et bientôt aux éditions Vrin, les collections Le discours philosophique, Philosophie et langage et Didac-philo avec sa série générale et une série consacrée aux Notions des programmes de philosophie.

 

 

 

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